Gabriella Kern a été adoptée à l’âge de quatre mois en Colombie par un couple franco-colombien. Il y a huit ans, l’étudiante a retrouvé sa famille biologique grâce à Facebook. Une histoire qui a bouleversé sa vie et l’a poussé à monter son propre projet, Origine. Une association qui accompagne les individus adoptés à entrer en contact avec leurs familles biologiques. Ainsi, elle soulève les tabous ancrés dans la société sur l’adoption et essaie de donner « une lueur d’espoir pour ceux qui ne savent plus vers qui se tourner ». Aujourd’hui, Gabriella a accepté de répondre à quelques questions sur ce thème qui lui tient à coeur.
Selon vous, les personnes adoptées rêvent-elles de connaître leurs parents biologiques ? Et comment pouvez-vous l’expliquer.
Depuis que je sais parler, j’ai exprimé ce souhait de retrouver ma famille biologique. C’est un sentiment ressenti par la plupart des adoptés, mais pas tous. J’ai mené un questionnaire avec l’association Origine sur près de 200 personnes. Et sur ces 200 personnes, 82% estimaient avoir envie et un besoin de retrouver leur famille native. C’est un désir qui vient du fait qu’on ait tous connu une rupture précoce avec ses géniteurs et c’est totalement intrinsèque. Ça s’inscrit dans une logique de quête identitaire, de savoir à qui on ressemble, pourquoi on a été adopté ou abandonné. Par exemple (ce n’est pas une généralité, juste un fait constaté d’après les études de l’association), les femmes éprouvent beaucoup plus ce besoin que les hommes. Chez les femmes il y a une sensibilité, une curiosité et elles se posent beaucoup plus de questions par nature donc cette envie vient plus tôt. Les hommes, eux, sont assez pudiques et vont ressentir ce désir plutôt vers la trentaine ou au moment de devenir père.
C’est donc naturel que les enfants aient cette volonté de vouloir savoir qui ils sont. Donc, est-ce qu’être adopté représente une quête constante de soi, de son identité et de sa place dans la société ?
Chaque être adopté part avec un bagage, ou un poids, qui est plus important qu’une personne née dans sa famille biologique. Il y a des personnes chez qui l’adoption va être une quête de l’identité à vie. Ça va créer des conséquences sur son développement individuel, ses relations sentimentales ou amicales en termes de confiance en soi, de l’estime de soi, de la dépendance affective, des peurs de ne pas être à la hauteur et de s’engager, des troubles de comportement, etc. Mais il y a d’autres personnes qui, très vite, travaillent sur eux et « guérissent » de ce mal-être. Mais cela reste assez subjectif et dépend de chaque individu. Dans la société, le sujet de l’adoption est encore très tabou et on n’en parle pas beaucoup. Le peu d’images qu’on a sort des séries et des films, avec une vision très misérabiliste de l’enfant déposé sur les marches et qui ne connait pas l’identité de sa famille. Cependant, il y a plus d’éléments concrets dans l’adoption qu’on ne montre pas au grand public. L’enfant adopté a une place à part dans la société parce qu’on n’en parle pas assez. Chaque parent en voie d’adoption, va avoir des rendez-vous avec des pédopsychiatres et l’assistante sociale. Une fois l’enfant installé au sein de sa famille, il va avoir un ou des entretiens psychologiques dans les 3 à 6 mois suivants son arrivée. Mais, ce suivit psychologique-là ne se poursuit pas alors qu’il devrait continuer pour s’assurer du bien-être de l’individu à l’adolescence et à l’âge adulte. Malheureusement, ceux qui peuvent effectuer un travail psychique sont souvent issus de milieux privilégiés et de familles assez ouvertes d’esprit pour parler du sujet. Car, tous les parents ne se sentent pas capables d’évoquer le sujet avec leurs enfants ou même de leur dire qu’ils sont adoptés.
Certains considèrent que les adoptés ne sont pas des « vrais » enfants pour leurs parents. Comment réagir face à ce propos ?
Ça fait partie des « Top 10 des préjugés » dont les personnes adoptées sont victimes. Ces stéréotypes sont plus facile à encaisser quand on vit notre adoption d’une manière plutôt seine. Le premier conseil que je donne serait d’expliquer. D’expliquer à la personne que nous avons été voulus. Et même peut-être plus désiré qu’un enfant biologique, tout simplement parce que la conception d’un bébé se fait naturellement. Un couple qui souhaite adopter va y réfléchir pendant un an, va faire des démarches, avec beaucoup de questionnements sur sa volonté à vouloir fonder une famille avec un enfant adopté. Il est nécessaire de prendre le temps d’expliquer que leurs proches les aiment, comme un enfant biologique, et qu’il n’y a pas de différence. Il faut déconstruire sa pensée et lui montrer un témoignage véridique.
Est-il vrai que, souvent, une personne adoptée compare sa vie au sein de sa famille adoptive et une vie qu’il/elle aurait pu avoir avec ses géniteurs ? Quelles impressions cela procure ?
C’était mon cas au moment de retrouver ma famille biologique, il y a huit ans (grâce au réseau social Facebook). Il m’est arrivé d’émettre des hypothèses. J’étais tiraillée entre un sentiment de gratitude totale : j’ai des parents aimants, une grande chance d’avoir était adoptée… mais aussi une sensation de culpabilité. J’ai retrouvé une sœur biologique, qui a un an de plus que moi, et la vie qu’elle a est totalement la vie que j’aurai dû avoir. Donc parfois, je me dis que j’aurais du rester auprès d’elle. Je me sens coupable de lui exposer la vie que j’ai eue versus elle qui a eu beaucoup plus de difficultés en grandissant. Un enfant adopté est souvent tiraillé entre ces deux sentiments-là. Mais il faut travailler sur cette impression de culpabilité, parce qu’il est totalement indépendant de notre volonté.
En France, il existe deux types d’adoption : la simple et la plénière (qui rompt tout lien de filiation et tout contact avec les parents biologiques). Certaines personnes s’opposent catégoriquement à ce dernier cas. Pour elles, c’est un effacement et un déracinement total avec la famille biologique et son pays d’origine. Pensez-vous et avez-vous l’impression d’avoir perdu votre identité en étant adoptée ?
Moi, c’est un cas de figure plus particulier parce que j’ai été adoptée par un couple mixte avec un papa français et une maman colombienne. Donc j’ai grandi en n’étant pas coupée de ma culture et en n’étant pas dépaysée. Mais j’ai vu des cas de figures diverses entre les deux types d’adoption (simple et plénière). Par exemple, une jeune fille se sentait tiraillée entre ses deux familles. Parce que dans l’adoption simple il n’y a pas cette rupture et cette coupure avec les parents de naissance. Donc elle a grandi entre ses deux familles, biologique et adoptive. Et tout s’est un peu mélangé dans sa vie et dans sa tête parce qu’elle ne comprenait pas. Pour elle c’était comme entre une garde partagée. Elle n’avait pas pu faire le « deuil » de ses parents naturels puisqu’elle continuait à les voir. Étant donné que tout le monde était en contact, elle ressentait un sentiment de culpabilité et de trahison dès qu’elle était plus proche d’une famille. Versus dans un cas de figure plénière comme le mien, j’ai rompu tous les liens avec ma mère biologique à ma naissance. Je sais que cela m’a beaucoup aidé. J’ai assimilée le fait d’être adoptée pour mon bien et avoir une meilleure opportunité de vie. Quand j’ai retrouvé ma famille de naissance, j’ai pu prendre le temps de tisser les relations que je voulais, sans qu’on m’impose quoique ce soit. Je trouve que c’est important et plus sain de marquer cette rupture pour que l’enfant comprenne bien ce qu’est l’adoption. Et une adoption plénière ne veut pas dire une coupure avec le pays natal. L’adopté peut toujours retourner sur sa terre natale avec ses parents, à plusieurs âges différents et à plusieurs reprises. Dans les deux cas de figure, il y a des avantages et des inconvénients.
Pour finir, je dirai que l’adoption ne défit pas notre conception. C’est important que chacun puisse vivre son adoption de façon positive et d’en faire sa force plutôt qu’un poids.