« 3 mois sous silence » : Lever le tabou autour du premier trimestre de grossesse
« 3 mois sous silence » : Lever le tabou autour du premier trimestre de grossesse

« 3 mois sous silence » : Lever le tabou autour du premier trimestre de grossesse

Les trois premiers mois de grossesse sont les plus difficiles. Grosse fatigue, nausées, hémorroïdes, jambes lourdes, gaz, voire dépression : ces symptômes touchent 85% des femmes enceintes. Pourtant, il semblerait qu’elles doivent parfois se taire. Un tabou que Judith Aquien a décidé de dynamiter. Entretien. 

Judith Aquien vient de publier un livre « 3 mois sous silence : le tabou de la condition féminine en début de grossesse » – CP : Alexandre Isard pour les éditions Payot

Vous venez de sortir le livre « 3 mois sous silence ». Les 3 premiers mois de grossesse sont les plus difficiles à gérer selon vous. Pourquoi ?

Judith Aquien : Tout simplement parce qu’ils ne sont pas pris en compte dans les univers médical, social et des ressources humaines alors que ce sont les plus difficiles à vivre. Entre les symptômes extrêmement lourds que vivent les femmes, les risques de fausse couche et les résultats de l’échographie des trois mois qui peut détecter des marqueurs de trisomie 21, c’est beaucoup d’angoisses qui sont liées à cette période. Mais au delà de ça, il y a aussi les symptômes physiques très difficiles. Il y a un réel décalage hallucinant entre toutes ces choses et la prise en charge quasi nulle !

D’ou vient cette idée qu’il faudrait taire sa grossesse ? 

J.A.: Annoncer sa grossesse devrait relever d’un choix personnel, mais on se rend compte que c’est surtout culturel. Les raisons de ce silence sont multiples, notamment le risque de discrimination. Ce choix qui est à priori personnel devient une aubaine pour qu’une fois de plus, la société et la médecine ne s’attaquent pas du tout à ce que subissent les femmes et préfèrent minimiser leurs douleurs, les qualifiant de « petits maux de la grossesse », plutôt que de faire de la recherche, de manière pleine et entière. 

Au travail aussi, il faut se cacher, notamment aux yeux de son patron. Pourquoi ? 

J.A.: L’annonce de sa grossesse à son patron est toujours un moment délicat. Je ne connais pas une femme qui n’a pas eu peur avant ! Être enceinte les renvoie au statut de corps, dont elles ont voulu s’affranchir durant des années. Ça brise en quelque sorte leur image de contributrices à l’économie. Les clichés ont la peau dure. D’ailleurs, souvent après cette annonce, leur évolution de carrière risque d’être gelée, elles n’oseront pas demander d’augmentation… En plus, certaines expressions contribuent à faire taire les femmes. Si on a une grippe, on nous dira : « soigne-toi ». Quand on parle du corps des femmes, c’est clairement tabou !

Comment faire pour que les femmes enceintes puissent travailler « normalement » ? Existe-t-il des solutions concrètes ? 

J.A.: Évidemment qu’il existe des solutions ! Il faudrait que chaque profession puisse faire des aménagements lors de cette période très compliquée. Au bureau, le télétravail pourrait être normalisé. Nous sommes traversées par des choses vraiment difficiles, comme les nausées par exemple. Vomir au bureau n’est vraiment pas simple, surtout quand il faut en plus le cacher. Souvent, c’est seulement au bout du 4e mois que les entreprises aménagent le temps de travail de ces salariées enceintes mais c’est aberrant ! Avant aussi, nous devons passer des examens médicaux, s’absenter, prendre soin de son corps, qui se manifeste à soi comme jamais. Je rappelle aussi que les femmes ne font pas des enfants à la retraite ! 

Vous parlez également du certificat de grossesse, qui n’est donné qu’au bout des trois mois. Est ce que c’est à partir de la que l’on est « vraiment » enceinte ? 

J.A.: Non, on l’est même avant le test de grossesse, qui atteste qu’on est enceinte depuis un mois. Mais juridiquement, c’est le cap des trois mois qui permet d’avoir le certificat de grossesse. Officiellement, nous sommes reconnues comme enceintes qu’à partir de cette échographie du 3e mois. Ensuite, c’est ce papier qui enclenche une série de droits, notamment auprès de l’Assurance Maladie et la CAF. 

Vous critiquez la prise en charge trop faible voire absente durant ces trois premiers mois. Que faudrait-il pour que les mentalités changent ?

J.A.: Il faudrait déjà plus d’éducation : à l’école, les cours sont trop légers en matière de variation hormonale, sur ce que vit une femme dans son corps toute sa vie à partir de la puberté. Ces questions ne sont pas prises en compte, non seulement dans l’éducation mais aussi dans la recherche médicale. On dit souvent que la douleur est indescriptible alors qu’il suffirait de faire marcher le côté scientifique pour décrire les réactions dans le corps d’une femme. C’est souvent euphémisé et donc, aucune recherche scientifique n’est effectuée pour soulager les femmes, toujours au travail durant cette période. Mais petit à petit, cette réflexion commence à émerger avec notamment la question de la précarité menstruelle. Cela étant, aucun moyen de contraception ou médicament n’a été trouvé en France pour éviter ces immenses douleurs. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *